
C’était l’époque où j’étais gestionnaire d’une équipe de vente. Nous étions presque à la fin du mois et les objectifs étaient loin d’être atteints. D’ailleurs, de plus en plus, ils étaient hauts, inatteignables, non mesurables. C’était l’époque où les chefs d’entreprise étaient aussi des demi-dieux. Ils se jouaient les gens ouverts d’esprit, mais ils avaient leur plan et n’en démordaient pas.
La vente, c’est une chaîne. Point besoin d’être un bon vendeur pour faire un bon responsable de ventes.
Tout responsable d’équipe est comptable des résultats de son groupe. Or, ce résultat dépend de celui de chacun des éléments du groupe.
J’avais vite fait de comprendre ce cercle vicieux où chacun se tient et tout le monde peut tomber par la faute d’une seule personne.
Avant le début de la journée, je faisais un discours pour motiver mes troupes. Mes discours étaient devenus des « shows » et aucun autre gestionnaire ne voulait les rater. J’en étais consciente et je donnais à mon public le spectacle voulu.
Je m’inspirais de tout : de l’actualité, de mes lectures, de mes discussions avec les équipes, mais aussi de versets bibliques, de proverbes, d’assertions célèbres.
Motiver une équipe passe par la mobilisation. Donner envie aux uns et aux autres de travailler avec vous. Donner du sens et de la valeur aux efforts de chacun, célébrer les réussites surtout, encourager.
Recadrer finement tout en mettant l’accent sur les efforts et les succès. Ne jamais oublier l’objectif commun par l’atteinte des objectifs personnels.
Ce matin, en venant comme à mon habitude, je pensais à mon allocution dans la voiture. Je savais quoi dire, qui interpeller, quel exemple donner, quelle astuce lancer.
Mais une chose sauta à mon évidence : « je voulais aussi sauver ma tête ». Un bon discours devant le chef prouvait ma participation à l’atteinte des objectifs. La responsabilité revenait à l’équipe de se mouiller le maillot pour me sortir ces maudites ventes.
Mais quand le moment arriva de parler, je regardais la douzaine de visages inquiète devant moi et je décidais de laisser parler mon cœur.
Je ne parlai ni d’objectifs non atteints, ni d’argumentaires de vente non respectés, ni de celui qui s’absentait un peu trop. Je décidai de leur parler de la nécessité de suivre son cœur, et surtout, de toujours bien faire ce qui nous a été confié.
C’est en réussissant à bien faire les petites choses qu’on réussit à en faire de plus grandes. Cesser de considérer son travail comme une contrainte, le prendre comme un jeu peut nous aider à atteindre plus facilement nos objectifs.
Du moment où nous ne considérons pas le travail qui nous est confié comme une charge punitive, mais plutôt comme un outil d’épanouissement, un exercice pour nous perfectionner, alors notre approche change et nous décidons de le faire à cœur joie. Alors, les résultats difficiles à obtenir auparavant commencent à tomber comme de la pluie providentielle.
Je regardais les uns et les autres ; plus j’étais exaltée en parlant, plus les mots venaient aisément, et plus j’étais convaincue que je ne devais en rien aborder la question des objectifs non atteints, tant pis pour le patron debout dans mon dos. Ma joie était immense face à des visages détendus, qui acquiesçaient en silence par des signes de tête, le sourire aux lèvres.
Aussi bien que le cadre de référence soit très important pour lire une situation, autant il est parfois salutaire de s’en éloigner.
La compétitivité, les objectifs, les échéances, le stress, les charges oppressantes ne doivent pas enlever l’humanité en nous. Au contraire, parfois, rien que rappeler cette dernière peut donner du sens à toute la lutte et la peine que nous nous donnons pour atteindre nos objectifs.
Si les objectifs ont été atteints ce mois-là ? Non ! Mais les jours suivants ont été bien meilleurs à ceux d’avant.
Ce qui importait ? Le fait d’avoir ressoudé les liens avec mon équipe.
Leur rappeler que pour moi, ce qui prime avant tout, c’est de me plaire dans ce que je faisais. Leur expliquer que l’on peut réussir si et seulement si l’on aime ce qu’on fait, qu’on le fait avec du cœur et qu’on y prend beaucoup de plaisir.
La difficulté ? Pour un gestionnaire d’équipe, c’est de faire faire à ses équipes le travail sans les faire se sentir serviles, esclaves ou encore concernés par la réussite globale.
Si j’ai pu sauver ma tête ? Sourires ! Elle n’était pas importante face aux 12 autres qui composaient mon équipe.